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Il est temps que tu meures, grand-mère

Il était une fois, un beau jour de Noël, (enfin, l'histoire retiendra de ma fête d'anniversaire) comme pour tout les réveillons, les langues s'étaient retrouvées en famille pour festoyer.
Chez les germaniques, Anglais parlait fort, mais seuls les frères scandinaves l'écoutaient. Chez les arabes, Arabe classique tenait d'une poigne de fer la maisonnée, et seul Egyptien osait parfois prendre la parole. Chez les slaves, tout le monde se battait sur la table, seule Polonaise observait en mangeant ses kluskis.
Et chez les romanes, le repas était plutôt calme, si l'on excepte Catalan et Castillane qui se jettaient des regards noirs, et des mots bien placés.

Mis à part Catalan et Castillane, toute la famille italienne était venue. Portugais avait préparé à manger, Roumaine profitait du moment, tranquillement et un peu en retrait, et à un bout de la table trônait Français, dans son plus bel habit.
Tout le monde respectait Français. Après tout, c'était lui qui avait inventé la littérature, la grande cusisine, la philosophie des lumières, la démocratie même ! C'était lui le chef incontesté de la famille romane, quand bien même Castillane avait plus de locuteurs. Il avait régné sans partage dans toutes les cours européennes des siècles précédents, il était langue de travail de plusieurs organisation internationales, et on le parlait sur chaque continent. C'était le plus puissant, le plus influent. Et quand bien même il était un peu batard avec la famille germanique, tout le monde considérait qu'il avait le sang pur de la vénérable Latine qui coulait dans ses veines.

On ne peut pas dire que ce CV lui avait appris l'humilité. Non. Si il pouvait citer du Hugo ou du Balzac pour montrer sa grandeur d'âme, il le faisait. Son plus grand talent était sans aucun doute la vantardise. Mais ce n'était pas ce talent là qu'il s'occupait à pratiquer ce soir là. Non, c'était son deuxième plus grand talent : se plaindre.

Car oui, Français se plaignait souvent. Très souvent. Il aimait ça, et un repas de famille était pour lui une occasion en or pour s'y entrainer.

"- Mes amis, ô mes amis, mes si tendres amis, je vais mourir ! s'exclama-t-il, le poignet contre le front.
- Allons, Frrancés, tou dis n'imporrté quoi ! Tou vas pas nous rréfairré lé coup chaque année ! lui répondis, blasée, Castillane.
- Ma chère Castillane, tu es si naïve, et tu parles si mal ma langue. Je sens que la perfide Albion va m'achever cette année. C'est fini pour moi !
- Mass, Anglés est peut êtré plous fortt qué toi, mass tou risqué rièn ! Nous douss on est léss plous fortés ! Rrégarrdé cé cabròn dé Catalan, ça c'est ouné langué minablé !"

Catalan, par réflexe, jeta instantanément son verre sur la tête de Castillane, et une bagarre entre les deux s'ensuivit sur la table. Français continuais à se plaindre et à pleurer des larmes de crocodile. Mais soudain, la vieille toussa, et tout le monde s'arrêta pour la fixer.

La vieille, c'était cette mystérieuse langue, assise à l'autre bout de la table. Personne n'y faisait jamais attention, car tout les regards étaient toujours rivés sur Français. Seul ce dernier la regardait, parfois, avec méfiance.
La vieille semblait toujours dormir. Elle ne mangeait jamais, du moins, pas avec les autres. Elle était là, comme un vieux meuble en ébène qui prenait la poussière. On la croyait même des fois morte. Français demanda à tout le monde de se rasseoir, et prit la parole :

"Ben alors, la vieille, on est toujours pas morte ? Qu'est ce que tu nous racontes aujourd'hui ?"

Mais la vieille ne broncha pas.

"Et voilà, impossible de lui faire dire quoi que ce soit ! Pourquoi viens tu encore aux repas de famille déjà ?"

La vieille ouvrit un oeuil, et regarda Français avec défiance.

"- Tu n'es même pas belle ! On dirait un vieux croûton décrépit ! Ton temps est passé, il est temps que tu meures, grand-mère."
- La vèlha vòu pas morir. lui répondis-t-elle, à la surprise générale.
- Aaah ! Enfin ! Bon il serait temps d'articuler maintenant ! Personne ne comprend jamais rien quand tu parles !
- La vèlha vòu pas morir ! dit-elle, un peu plus fort.
- Pff, ça ne sert à rien... Que disais je de plus intéressant ? Ah oui..."

Français continua sa plainte, et tout le monde détourna les yeux de la vieille, comme si de rien n'était.
La vieille dévisageait Français. Ce dernier y jetait parfois des coups d'oeils rapides. Elle començait à se rapeller.

Elle se souvint de son enfance. Lorsque elle et Français étaient amis. Mais ce n'était pas vraiment Français, il avait un autre nom. Il était plus sympathique, plus profond et varié. Elle rayonnait dans toute l'Europe à cette époque. Les gens l'apellaient Limousine. Et le temps passa. Dante la nomma Langue d'Òc, et son frère Langue d'Oïl. Ce dernier faisait de plus en plus de crises, si bien que des médecins l'emmenèrent pour lui faire passer une thérapie. Et après de longues années, il avait changé. Il reniait des parties de sa personnalité. Il était devenu arrogant et triste. C'est à partir de maintenant qu'il se faisait apeller "Français".
Son égo n'avait plus aucune limite. Il haïssait tout le monde, et plus profondément encore sa soeur. C'est à ce moment là que la vieille commença à l'être. C'était Français qui l'avait rendue vieille en vérité. Il l'avait détruite de l'intérieure. Il apellait tout ceux qu'il n'aimait pas "Patois". Et la vieille, ne comprenant plus rien, abasourdie, se laissa faire.

Prise de tant d'émotions, elle trouva la force pour taper du poing sur la table, ce qui, à nouveau, fit taire tout le monde.

"- Ben alors ! fit Français, avec ironie. On essaye de vivre maintenant ? Allons, ma pauvre vieille, ça ne sert à rien. Arrête d'essayer de te battre, c'est fini, abrège tes souffrances !
- La vèlha vòu pas morir !! redit-elle à nouveau, en tapant l'autre poing sur la table.
- Mais tu ne sais dire que ça... soupira Français."

Et la vieille se souvint encore. Elle se souvint du bruit du Mistral, du temps où on l'avait apellée Provençale. Elle inspira un grand coup, et se souvint qu'elle s'apellait aussi Gasconne. Elle bougea sa machoire, et se souvint de son autre nom, Auvergnate. Elle sourit brièvement à son fils, Catalan, pour se souvenir qu'on l'apellait Languedocienne. Elle leva les yeux au ciel pour qu'il lui dise qu'on l'avait nommée Vivaro-Alpine. Et elle se leva, et elle dit alors son nom :

"De la mar granda jusca dins las Aups, de Mediterranèu jusca dins los volcans, mon nom z-es Occitana !"

Français vira au rouge. Il hurla contre elle :

"Mais quand est ce que tu vas mourir ! Plus personne ne te parle ! Je t'ai prit tes mots, ton histoire, ta dignité ! Meurs saloperie ! Meurs !"

Mais la vieille ne voulait pas mourir. Elle entendit le chant des milliers de personnes qui la parlaient encore. Qui l'écrivaient encore. Qui se battaient pour elle, bref, qui la faisait vivre. Elle ne pouvait pas mourir.
Et ces personnes, cette poignée de personnes, persévérant contre vents et marées, par la force de leur volontée et de leur travail, de leur espoirs, toutes ces petites fourmis, qui se multipliaient, finirent par faire rajeunir Occitane.

Elle monta alors sur la table, et se dirigea vers Français, complètement estomaqué. Elle l'enlaça, et Français se souvint à son tour, qu'il s'apellait aussi Champenois, Gallo, Picard, Wallon, Lorrain, Bourguignon. Qu'il s'apellait en fait Langue d'Oïl.
Castillane arrêta d'embêter Catalan. Et on vit de nouveau des membres de la famille qu'on croyait morts. Arpitane, Léonais, Aragonaise, Romanche, Ladine, Sarde, Dalmate...

Et peu à peu, dans d'autres familles, d'autres écoutèrent chanter les milliers, les millions de fourmis qui faisaient revivre les langues. Chez les germaniques, Anglais baissa d'un ton, et même Frison pu parler à égalité avec les autres. Chez les arabes, on envoya Arabe Classique aux côtés de Latine, et Magrébi, Egyptien, Levantine et les autres purent enfin être dignes. Chez les slaves, on préféra discuter plutôt que d'essayer d'écraser les autres.

E cric e crac, mon conte z-es chabat.

Mais souvenez vous qu'un conte, si il entre dans vos oreilles, sert aussi à faire fonctionner votre cervelle, et à faire bouger vos bras. Il ne sert à rien seul, et incite à l'action.

E cric e crac, mon conte z-es pas chabat !